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[CR CONCERT] Nytt Land + 若潭 ruò tán + INeQouTable au Cirque Électrique, Paris (18/04/2018)


L'annonce d'une telle date avait de quoi intriguer. Pas de violence ce coup-ci, mais de la musique on ne peut plus expérimentale. C'est surtout IneQouTable qui m'a motivé à prendre ma place, je me suis dit que ça valait forcément le coup avec un nom pareil. Couplé avec l'annonce d'un obscure projet de drone/noise/ritualiste originaire de Chine et d'un groupe folk wardrunesque de Sibérie dont les influences scandinaves sont aisément perceptible de par sa dénomination : Nytt Land. Sur le papier c'était donc fort tentant. De plus, Ondes Noires a la réputation d'organiser des trucs sympas, je n'ai donc point hésité bien longtemps avant de me laisser tenter à l'idée de passer une soirée tout en détente et introspection musicale.  


Partie I : IneQouTable

Sous un soleil éblouissant, on sort du métro Porte des Lilas, brave la circulation au péril de notre vie pour entrer dans le Cirque Électrique. C'est une salle que je ne connaissais pas auparavant. Avec des roulottes, un grande terrasse exposée au soleil (on aurait bien voulu y rester !), on se faufile dans chapiteau couleur prune en prenant soin de traverser deux portes de bandes plastiques qui ne sont pas sans rappeler l'entrée d'une chambre froide d'une boucherie ou l'accès au bassin d'une piscine municipale (je vous laisse le loisir de choisir l'interprétation qui vous sied le mieux). Un vrombissement sonore se fait déjà entendre, IneQouTable serait-il déjà en train de jouer ou bien est-ce seulement les balances ? Je ne peux pas demander à la personne à l'accueil qui regarde mon billet, car j'ai déjà eu du mal à entendre son "bonne soirée !" (a-t-il bien dit ça d'ailleurs ?). Il fait une chaleur à crever et les rayons du soleil transpercent l'obscurité par les petites petites fenêtres (celles qui nous permettront de ne pas mourir d'asphyxie). La salle est étonnement grande, avec un parquet et des coins banquettes tout autour qui rappellent le thème du cirque. Chacun peut alors se reposer en groupe ou se bécoter avec sa moitié (ou les deux). On y trouve également des tables et des chaises pliables. Une atmosphère intimiste et détente s'installe rapidement, sauf qu'au lieu des bougies et des mojitos on voit des pintes de bières sur les tables et des black metalleux à perfectos et rangers qui sont tranquillement installés. C'est déroutant et curieux ! 

Les balances semblent durer une éternité, et pour cause, IneQouTable semble souffrir d'un problème technique pour le moins fâcheux. Un grésillement permanent vient plomber toute l'orchestration du bonhomme (qui est tout seul avec sa guitare, des instruments à vents et percutions). Je n'ai pour ma part pas vraiment compris où était le problème puisque pour moi, ça ressemblait à quelque chose près à ce que j'avais cru entendre, mais admettons, il doit mieux savoir que nous comment sonne sa musique. Après donc 40 minutes interminables, le son semble enfin calé et le concert peut commencer. Personne ne se lèvera vraiment en fait, à part un photographe et un fan qui souhaite tout filmer avec son téléphone. Je n'ai pas bougé de ma chaise et les retardataires viennent directement s'asseoir en tailleur dans la fosse (avec une pinte à côté faut pas être fou non plus !). 

Le projet IneQouTable est incarné par un joyeux luron qui arbore une chemise noire ouverte (pour cause de chaleur ou pour nous montrer sa pilosité de mâle alpha) est ainsi installé derrière une collection de pédales et boutons, commence alors sa performance avec de la flûte traversière. Pour un truc inaudible, ça m'intrigue. La première impression qui en ressort c'est une musique zen et planante, bref, on se sent un peu arnaqué, car ça a tout lieu d'être écoutable son truc ! Le principe de la performance est simple, il superpose les sonorités de multiples instruments, à vents, percutions, guitares à l'aide d'un enregistreur, un peu comme KT Tunstall avec son titre entêtant "Black Horse and the Cherry Tree" (je n'ai pas trouvé mieux mais si ça ne vous dit rien, souvenez-vous, c'était le titre de la pub d'Alice, impossible de l'avoir raté tant il était entêtant). Bref, elle superposait aussi les sonorités pour jouer son titre toute seule sur scène. Et le type, ben il fait pareil mais avec encore plus d'instruments. On le voit même souffler dans une sorte de trompette. C'est curieux et captivant à la fois. Difficile de dire vraiment ce qui se passe dans la tête du bonhomme, ni de la nôtre, nous sommes dans un autre monde, entre rêve et réalité, la musique expérimentale à son paroxysme. Plus les sons se superposent, plus nos canaux auditifs sont littéralement captivés et envoûtés, comme figés dans l'espace-temps. Personne n'aura décoché un mot de toute la performance. Le seul détail qui vient gâcher le plaisir ce sont les relents de friture provenant de la cuisine de la salle. Mais on s'y accommodera tout de même. Sans pause, on a été transportés dans cet univers d'expérimentation où on ne sait pas trop si c'était de la musique ou pas. Je dirais que oui, parce que les frontières entre l'audible et l'inaudible ont été depuis bien longtemps réduites à néant. On se surprend après coup à penser que ça doit être aussi bien sympa de l'écouter peinard chez soi. Ça ne plaira pas à tout le monde, et ce qu'on trouve sur internet ne permet pas de se rendre compte pleinement du délire et toute sa subtilité acoustique, le mieux ça reste de le vivre en concert pour se faire une idée. Pour ma part j'ai été agréablement surprise et charmée par la performance, et je dis chapeau !




Partie II : 若潭 ruò tán

Après 45 minutes de vrombissement sonore expérimental. Nos canaux auditifs étaient ainsi parfaitement prompt à capter et s'immerger l'univers de 若潭 ruò tán. Tout comme IneQouTable, c'est un projet dont on ne sait pas grand chose si ce n'est qu'il se qualifie de drone/noise/ambient/ritualiste/cosmologique et qu'il a sorti un album Stone en 2017. Un programme qui permet là encore une grande liberté d'expérimentations sonores. On ne pourra pas dire qu'on n'a pas été prévenus ! Un bonhomme installe donc ce qui ressemble à une table remplie de boutons ornée d'un tissu qui arbore un motif d'influence tribale. Notre compagnon se cache sous une longue chevelure et une quantité hallucinante de fumée qui ne le quittera quasiment pas de toute la performance. Plus qu'expérimental, on est alors plongé dans une ambiance feutrée et intimiste, des spots jaunes permettent ainsi au public de se sentir littéralement apaisé. L'aventure commence par des rythmiques répétitives entrecoupées de sonorités mystérieuses sorties d'on ne sait trop où. L'ambiance ritualiste est installée via la fumée, les bougies sur la table et l'encens qui se diffuse dans toute la salle (ça aura permis d'atténuer celle de friture, ce n'est vraiment pas un mal !). 

On n'écoute pas vraiment de la musique, mais on est captés par un rituel sonore qui ne laisse pas indifférent. Certains battent même la mesure, se hasardant à hocher la tête (mais rien de bien violent). Le public s'est un peu plus étoffé, toujours assis à même le sol. Nous sommes happés par cette mise en scène, la fumée allant même jusqu'à se faufiler dans le public, c'est un effet mystique assez déroutant et planant. J'adhère totalement et je laisse moi aussi détendre tous mes muscles et suis captivée par la performance. On assiste là ébahis à une séance de chamanisme d'un genre nouveau, couplant sonorités et chants traditionnels (dont le bonhomme nous fera partager des enregistrements) et rythmique moderne d'influence électronique. On voyage et on est submergés par ce sentiment de bien-être et d'introspection. 



Partie III : Nytt Land

Après l'introspection, voici venu le moment de l'expression avec Nytt Land. C'est un groupe russe, originaire de Kalachinsk en Sibérie. On sait bien que depuis ces dernières années, on assiste à un engouement démesuré pour les musiques folkloriques influencées par les croyances et traditions de scandinavie. Wardruna en est un bel exemple. Nytt Land quant à eux, existent depuis 2012, d'abord sous le nom d'Ylande puis Nytt Land en 2014 avec l'album éponyme. Ils combinent à la fois tradition shamanique sibérienne et culture scandinave dans son exploration musicale. Ils ne cachent absolument pas leurs inspirations et influences wardrunesques, mais ils ont réussi le pari de sonner à la fois un peu Wardruna tout en gardant leur identité sibérienne. Nytt Land ça veut dire "nouveau pays" ou "nouvelle contrée" en langue scandinave. On peut ainsi aisément deviner que via leur musique ils souhaitent ainsi faire resurgir les traditions tout aspirant à une nouvelle identité par le folklore d'aujourd'hui. Loin d'une notoriété affirmée à la Wardruna ou d'un budget costumes et figurants à la Heilung, Nytt Land est composé d'un modeste trio qui parcourt les routes avec le souhait de faire partager leur culture et leur musique dans une ambiance intimiste. Leur dernier album Odal (2018) tout frais du mois de mars dégage tout à fait cet état d'esprit (ils ont eu la présence d'esprit eux aussi d'utiliser leur enfant de 4 ans sur un titre, ils ont tout compris).

Vers 21h30, l'organisation nous invite alors à accueillir Nytt Land pour sa performance. Ils demandent alors au public de bien vouloir attendre la fin du concert pour applaudir le groupe (détail qui visiblement aura du mal à être compris par une bonne partie du public qui est au choix sourd ou non francophone en majorité). Le groupe prend place humblement et entonne alors le premier morceau du dernier album "Darraðljòð" ou la chanson des Valkyries. Que c'est bon, que c'est envoûtant, on est en plein shamanisme avec une spéciale dédicace à l'Edda poétique. Ils sont brillants et je ne peux contenir mon émotion qui sera toutefois un peu gâchée par cet homme un peu trop enthousiaste qui ne peut s'empêcher d'applaudir à la fin du titre. Je rage, un type à côté de moi essaye tant bien que mal de me dire de me calmer. Mais je ne peux m'empêcher de vivre ça comme une agression sonore totalement insupportable. Le groupe enchaîne sur les deux titres qui suivent dans l'album "Ragnarök" et "Norður". On est en plein dans la tradition scandinave. Nous savourons la prestation et sommes en admiration face à la performance de la chanteuse qui a une puissance vocalique surprenante. Multi-instrumentiste qui plus est, elle passe habilement d'un tambour à un instrument à vent avec une incroyable facilité. Jouant sur plusieurs terrains, entre les joiks, parties murmurées et parlées dont son compère l'accompagnera régulièrement. Via des spots rougeoyants et de la fumée (mais toutefois pas aussi importante que pour 若潭 ruò tán) nous assistons à un véritable rite shamanique au cœur d'une salle parisienne. Certains se mettent à danser, d'autres restent assis en pleine introspection. Chacun vit le moment à sa façon, immergé dans cet univers musical si particulier.

Je regrette de n'avoir pas pu écouter davantage Nytt Land avant le concert. Je pense néanmoins que même non initié, c'est une musique qui, même avec un effet de surprise passe agréablement bien. Ils ont enchaîné sur un autre titre de l'album Odal "Deyr Fé / The Heritage" titre sur lequel nous pouvons bien entendu entendre le charmant bambin répéter les paroles de son papa. C'est très émouvant. S'en suit "Völuspá", un hommage direct à l'Edda. "Drakkar", un titre plus ancien, "Hittusk æsir (Völuspá 7-10)", "Unz priz þrìr kvámu", "Hymn of Swargas", chant traditionnel dont on a déjà pu entendre l'air sur l'album Nordavind du court projet Storm. Et puisque cette soirée ne pouvait que s'achever sur une note Edda, nous avons conclu sur une autre partie de la Völuspá "Sal Sér Hon Standa" (Völuspá, 64-66).

Bref, la morale de l'histoire c'est qu'on n'a pas besoin d'être scandinave pour s'imprégner de cet univers et le transmettre admirablement. Nytt Land nous l'a prouvé ce soir-là. C'est un petit groupe qui ne bénéficie, certes, pas du rayonnement comme d'autres que j'ai cité mais qui n'a pas à rougir concernant ses qualités musicales et sa prestation scénique. Je ne pense pas mentir en disant qu'ils nous ont offert là une parfaite immersion dans leur subtil mélange entre shamanisme, culture sibérienne et tradition païenne scandinave. Ce qui m'a frappé, c'est la place centrale que prend la chanteuse dans ce projet, qui joue là un véritable rôle de transmission orale de traditions et d'émotions. Il est impossible de rester indifférent face à une telle prestation. Je me suis sentie privilégiée de pouvoir assister à cela et je les en remercie grandement. Égoïstement sans doute, j'espère ainsi qu'ils conserveront leur simplicité et que leurs rites à suivre resteront aussi intimistes et captivants. À consommer sans modération, dans les bois autour d'un feu de bois ou tranquillement chez soi.

Setlist :

01 - Darraðljòð / Song of the Valkyries
02 - Ragnarök
03 - Norður
04 - Odal "Deyr Fé / The Heritage
05 - Völuspá
06 - Drakkar
07 - Hittusk æsir (Völuspá, 7-10)
08 - Unz priz þrìr kvámu
09 - Hymn of Swargas
10 - Sal Sér Hon Standa" (Völuspá, 64-66)

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